Equal play, equal pay : des « inégalités » de genre dans le football
20 juillet 2023
La thématique des inégalités a été replacée au centre des débats de politique économique, et les inégalités entre les hommes et les femmes sont de celles que les Français et les Françaises considèrent parmi les « moins acceptables ». Il n’est donc pas surprenant que le football, qui n’est pas à l’écart de la société, soit confronté à cette question de justice sociale.
Une revendication des internationales
Les revendications « salariales » des joueuses se sont multipliées : refus des joueuses australiennes d’effectuer une tournée aux États-Unis en 2015 ; plainte des stars américaines contre leur fédération en 2016 ; grève des joueuses danoises en 2017 ; plainte des internationales américaines contre leur fédération pour discrimination devant un tribunal de Los Angeles en mai 2019 ; grève pour l’égalité du salaire minimum en Espagne en octobre 2019 ; boycott de la Coupe du monde 2019 par la star norvégienne Ada Hegerberg ; grève de l’équipe nationale canadienne en 2023 ; etc.
Ces revendications ont abouti dans de nombreuses fédérations à des accords de parité entre internationales et internationaux : en Angleterre, au Brésil, en Norvège et en Espagne par exemple, les primes (en niveau ou en part) et les conditions de sélection des footballeurs et des footballeuses ont été alignées, la dernière nation en date étant le Pays de Galles en 2023.
Aux États-Unis, les conventions collectives des équipes nationales masculine et féminine sont aujourd’hui les mêmes : cet accord historique permet d’atteindre des salaires égaux et garantit des primes identiques entre les sélections féminine et masculine pour toutes les compétitions y compris la Coupe du Monde.
Les inégalités salariales entre joueuses et joueurs : un double processus socio-historique et économique
On sait que la différence salariale entre footballeuses et footballeurs, et plus généralement entre sportives et sportifs, a une origine socio-historique. Les racines des inégalités entre hommes et femmes se trouvent à la naissance du sport moderne, les femmes ayant été mises à l’écart pour différentes raisons pendant quasiment un demi-siècle.
La professionnalisation des équipes sportives masculines au cours du XXe siècle, notamment dans le football, n’a pas contribué à réduire les inégalités entre sportifs et sportives. Suivant l’Angleterre et l’Écosse à la fin du XIXe siècle, les nations européennes ou sud-américaines, où le football s’était implanté, le professionnalisent entre la fin des années 1920 et le début des années 1930. La « non-professionnalisation » des équipes féminines se traduit par une moindre pratique du sport de haut niveau, donc moins d’entraînements et moins d’équipements adéquats. Cela affecte les capacités physiques et techniques des sportives et, par conséquent, l’attractivité vis-à-vis du public et des médias (faiblesse de la demande).
Cependant, il faut noter que des années 1920 à 1960, le football masculin, même professionnel, n’est pas à son apogée. À cette époque, de nombreux footballeurs sont contraints d’exercer une autre activité pour pouvoir vivre correctement, et la Seconde Guerre mondiale met un frein à l’expansion du football. Après le conflit, les championnats reprennent avec des rémunérations qui ne permettent toujours pas à l’ensemble des joueurs de vivre du football.
1955 : Le commentateur de football féminin | Archive INA [vidéo sur YouTube]
Il faudra attendre les années 1960 pour que les salaires augmentent, notamment sous la pression des joueurs en France et en Angleterre, en vue de supprimer les plafonds salariaux. Il n’est donc pas étonnant qu’à cette époque le football féminin ne se soit pas développé et ce, nonobstant les interdictions d’utiliser les stades et le fait que le football demeure un sport masculin : rares sont en effet ceux ou celles qui remettent en cause la division traditionnelle existant entre les hommes et les femmes à cette époque.
Ainsi, jusqu’au milieu des années 1960, en dépit des changements sociaux importants qui s’opèrent dans les sociétés occidentales après la Seconde Guerre mondiale, le football féminin demeure embryonnaire.
Des inégalités salariales qui ne sont pas propres au football
Depuis des années, les fédérations sportives mènent des politiques égalitaristes en matière de distribution des dotations entre les hommes et les femmes, particulièrement dans les sports individuels. Et ce, d’autant plus que les compétitions se déroulent au même endroit et au même moment.
Le tennis a fait office de pionnier puisque l’US Open de New York est le premier tournoi à avoir introduit la parité dans les dotations pour les hommes et les femmes en 1973. Depuis cette date, de nombreuses fédérations ont suivi le mouvement. En 2017, une enquête de la BBC a fait état de 35 sports qui distribuent des dotations équivalentes entre les hommes et les femmes tandis que 9 favorisent les hommes. Les sports les plus inégalitaires demeurent les sports collectifs.
Les obstacles à l'égalité femmes-hommes dans le football (Brut)
Parmi les sportives pratiquant un sport collectif, les mieux payées du monde sont les basketteuses du championnat américain (Women National Basketball Association ou WNBA) qui gagnaient en moyenne plus de 60 000 euros par an à la fin des années 2010. Il reste que leurs homologues masculins de la NBA, également les mieux payés du monde en moyenne, gagnent environ 100 fois plus.
À noter que les sportives pratiquant certains sports individuels, à commencer par les joueuses de tennis, sont mieux loties : en 2022, la joueuse de sports collectifs la mieux payée, la basketteuse américaine Candace Paker, n’arrivait qu’en onzième position des sportives les mieux rémunérées au monde – et 97 % de ses revenus étaient extra-sportifs.
Dans cette hiérarchie des salaires des sports collectifs, les footballeuses européennes (France, Allemagne, Angleterre) occupent la troisième, la quatrième et la cinquième places après les basketteuses de la WNBA et les joueuses australiennes de netball, un dérivé du basket essentiellement féminin. Les footballeuses américaines arrivent en septième position, après les handballeuses danoises.
Des inégalités salariales importantes entre pays, entre clubs et entre joueuses
En 2017, la ligue féminine la plus rémunératrice en moyenne était la première division française, avec un salaire annuel brut d’environ 42 000 euros. Viennent ensuite la ligue allemande (37 000 euros), la ligue anglaise (30 000 euros) et la ligue américaine (23 000 euros).
Les inégalités entre footballeuses et footballeurs varient beaucoup d’un pays à l’autre : le salaire annuel brut moyen des hommes est 113 fois supérieur à celui des femmes en Angleterre, mais 27 fois supérieur en France et 8 fois supérieur en Suède. Ce rapport dépend, comme on l’a souligné, de la taille respective des « gâteaux » à se partager.
En France, en 2022, selon le journal L’Équipe, le salaire moyen brut en D1 féminine est le même qu’en 2017, avec de fortes disparités entre les clubs. Le salaire moyen le plus élevé est celui de l’Olympique lyonnais : il équivaut au salaire moyen en Ligue 2 masculine (12 000 euros bruts par mois) alors que le plus faible, à l’ASJ Soyaux (en grande difficulté financière actuellement), est en dessous du SMIC mensuel brut (1 700 euros en 2023). L’écart de salaires entre les deux « gros », l’OL et le PSG, et les autres, est important (les joueuses gagnent entre 3 et 4 fois moins), ce qui explique les résultats en championnat : l’OL a gagné 16 des 17 derniers championnats, ne laissant échapper que celui de 2020-2021, au profit du PSG.
Le futur du football féminin : former, professionnaliser et médiatiser
Les différences de salaires entre footballeurs et footballeuses s’expliquent par la faiblesse des revenus générés par le football féminin comparativement à ceux de son homologue masculin : pour les années récentes, près de 2 milliards pour les hommes contre 34 millions pour les femmes, un rapport de 1 à 50. Le gâteau à partager est beaucoup plus petit. Pour réduire ces inégalités, il faut donc chercher à augmenter les revenus liés au football féminin.
La stratégie de développement la plus convaincante actuellement est celle de l’Angleterre. Dans la perspective de l’organisation de l’Euro féminin en 2021, la fédération anglaise (FA) a lancé en 2016 une série de réformes, la première d’entre elles concernant la professionnalisation des douze clubs participant à son championnat féminin. La FA a par ailleurs adopté une gouvernance de type « ligue », indépendante du secteur amateur et du football masculin, ce qui permet notamment une gestion particulière du sponsoring.
Un des objectifs de ces réformes de la FA est d’accroître la compétitivité du championnat et d’augmenter la demande de football féminin (affluence et audience). Un autre objectif des réformes est de limiter la dépendance des équipes féminines aux financements émanant des clubs masculins.
Cette réforme a porté ses fruits puisque la FA a réussi en 2021 à renégocier le « naming » de la Super League pour un montant de dix millions de livres par an sur trois ans (avec Barclay’s) contre cinq millions pour les saisons précédentes. Elle est également parvenue à vendre les droits TV de la compétition pour un montant record de huit millions de livres. Par ailleurs, les affluences ont nettement augmenté, dépassant cette année les 5 000 spectateurs en moyenne (1 000 avant la réforme).
Cet intérêt croissant pour le football féminin anglais (y compris au niveau des audiences TV) a profité aux footballeuses du championnat anglais puisque les salaires ont augmenté et vraisemblablement dépassé le salaire moyen des joueuses en France, notamment lors de la saison 2022-2023. Et les performances sportives suivent.
Après leur titre européen, les « Lionesses » de l’équipe nationale anglaise vont-elles régner sur le toit du monde ? Réponse le 20 août…
20 juillet 2023
Les auteurs
- Richard Duhautois
Économiste et chercheur au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et au Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa), Conservatoire national des arts et métiers
Thématiques de recherche : économie du travail, économie du football professionnel, économétrie appliquée
- Luc Arrondel
Économiste, directeur de recherche au CNRS, membre associé, Paris School of Economics – École d'économie de Paris