Le vélo, un potentiel inexploité pour améliorer la santé (et le climat)
2 avril 2024
Cependant, couper les financements d’État ciblant les mobilités durables contribuera également à dégrader la santé publique, en plus d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre.
Dans une étude récente, nous avons évalué les bénéfices pour la santé publique et le climat de la pratique du vélo en France. Voici ce que nous avons appris.
Les Français pédalent peu
Nos travaux ont consisté à analyser les données de l’enquête « Mobilité des personnes ». Cette enquête publique décennale conduite par l’Insee a pour objectif de décrire les pratiques de mobilité des personnes et d’apprécier comment et pourquoi les Français se déplacent, au quotidien ainsi que pour leurs voyages à plus longue distance. Le millésime 2019 de l’enquête repose sur un échantillon, représentatif à l’échelle nationale, de près de 14 000 personnes interrogées en 2018-2019.
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Premiers résultats de cette analyse : les Français pédalent peu. En moyenne chez les 18 ans et plus, à peine plus de 2 km par semaine. À titre de comparaison, les Hollandais âgés de 75 ans et plus couvrent en moyenne 13,7km par semaine, soit près de 7 fois plus.
En outre, en France, les hommes parcourent près des trois quarts des kilomètres effectués à vélo, là où la pratique est bien plus équilibrée entre les sexes aux Pays-Bas.
Les bénéfices sanitaires du vélo en 2019
Dans un deuxième temps, nous avons quantifié les cas de maladies chroniques et les décès évités par les niveaux de pratique du vélo de 2019. Pour ce faire, nous avons employé la méthode de l’évaluation quantitative d’impact sanitaire, qui permet de calculer l’ampleur des conséquences pour la santé d’une exposition à un facteur de risque, ou au contraire l’ampleur des bénéfices d’un facteur protecteur pour la santé, au sein d’une population donnée.
Dans le cas du vélo, la synthèse des études épidémiologiques sur le sujet nous apprend que 100 minutes de vélo par semaine permettent de réduire la mortalité toute cause de 10 % chez les adultes. Cette relation entre temps de pratique du vélo et risque de mortalité peut ensuite être extrapolée et appliquée aux niveaux observés de pratique du vélo.
De la même façon, nous avons sélectionné 5 pathologies chroniques pour lesquelles une association avec l’activité physique avait été reportée dans des méta-analyses : les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2, le cancer du sein, le cancer de la prostate et la démence.
Nous avons pu mettre en évidence que, si les niveaux de pratique du vélo rapportés en 2019 étaient maintenus constants, et bien que ces niveaux soient modestes, ils permettaient déjà d’éviter près de 2 000 décès et 6 000 cas de pathologies chroniques chaque année.
D’importants coûts évités
Ces décès et pathologies chroniques évités représentent également des dépenses de santé en moins pour la collectivité. Les coûts médicaux directs que le vélo permet d’éviter (hospitalisations, traitements médicaux, indemnités journalières) peuvent être chiffrés grâce aux données de l’assurance maladie : ils s’élèvent à près de 200 millions d’euros chaque année.
Toutefois, si ces coûts médicaux directs ont l’avantage d’être « tangibles », au sens où il s’agit de dépenses monétaires, ils ne représentent que la partie émergée de l’iceberg : éviter une pathologie ou un décès a une valeur pour la société, et ce même en l’absence de traitement ou d’indemnisation. En effet, maladies et décès ont des conséquences immatérielles qui affectent non seulement la personne concernée, mais aussi son entourage et la collectivité : préjudice moral, perte de bien-être, impact sur la vie des proches (notamment aidants), perte de productivité…
Pour en tenir compte et évaluer de manière cohérente les coûts des pathologies et décès évités, les économistes de la santé utilisent généralement la notion de « coûts intangibles de santé », autrement dit de coûts sociaux de santé.
Sur la base de cette notion de coûts intangibles de santé, en France, le rapport de la commission présidée par l’économiste Émile Quinet a recommandé en 2013 d’utiliser pour l’évaluation de politiques publiques la valeur de 3 millions d’euros par décès évité, soit 3,48 millions en euros actuels.
De notre côté, nous avons ainsi estimé que la pratique du vélo avait permis d’éviter 4,8 milliards d’euros de coûts sociaux de santé en 2019. Rapportés au nombre de kilomètres parcourus à vélo l’année de l’enquête (4,6 milliards de km), cela nous a permis d’estimer que chaque kilomètre parcouru à vélo permet d’éviter environ 1 euro de coûts sociaux de santé.
Quelles sont les conséquences d’un report des trajets courts vers le vélo ?
Si notre analyse renseigne sur les bénéfices sanitaires actuels du vélo, elle peut aussi nous en dire plus sur les bénéfices à attendre de politiques de promotion du vélo.
Ceci est particulièrement pertinent dans le contexte français, puisqu’il existe un potentiel important pour le développement de la mobilité cyclable. En effet, dans notre pays, plus de la moitié des trajets de moins de 5 km sont effectués en voiture.
Ici, les données individuelles détaillées de l’enquête Mobilité des Personnes permettent de modéliser le scénario selon lequel une partie des trajets de moins de 5 km effectués en voiture le seraient à vélo. Dans notre étude, nous avons simulé les effets d’un report de 25 % de la voiture vers le vélo pour de tels trajets. Nos résultats indiquent que ce report, somme toute modeste, permettrait de prévenir 1 800 décès de plus et d’éviter 2,6 milliards d’euros supplémentaires de coûts sociaux de santé.
À titre de comparaison, les décès évités par les politiques en matière de sécurité routière ces 10 dernières années auraient permis d’éviter environ 1 500 décès par an.
Enfin, cette simulation nous a permis d’estimer qu’un tel scénario de report modal réduirait les émissions de CO2 de 250 kilotonnes par an. Cela correspond peu ou prou au double des émissions évitées par les crédits d’impôt accordés pour la rénovation thermique des logements qui avaient été mis en place en 2015 et 2016.
Un potentiel qui reste à exploiter
Malgré des bénéfices scientifiquement documentés de longue date, il est navrant de constater que le vélo n’a pas bénéficié d’investissements conséquents, du moins sur la décennie 2010-2019.
De ce fait, entre les enquêtes Mobilité des Personnes 2008 et 2019, la proportion de trajets effectués à vélo n’a pas progressé : elle a stagné aux environs de 3 %. Or, les collectivités territoriales présentent souvent les investissements dans les infrastructures cyclables sous l’angle des coûts. Pourtant, outre notre étude, qui révèle l’ampleur des bénéfices qui peuvent en être attendus en matière de santé, de nombreux autres travaux documentent aujourd’hui les atouts du vélo en contexte urbain.
Il peut ainsi être un précieux allié pour réduire la pollution de l’air et les temps de trajet. Promouvoir la mobilité cyclable est aussi une façon de réduire la place de l’automobile en ville, dont les effets délétères sur la santé sont souvent sous-évalués.
Par ailleurs, la plupart des scénarios énergie-climat compatibles avec les engagements climatiques de la France, qu’ils soient développés par l’ADEME ou l’association négaWatt, prévoient une hausse importante du recours au vélo. Dans un tel contexte, les pouvoirs publics auraient tout à gagner à mettre en avant la convergence des bénéfices climatiques et sanitaires du vélo.
Nous avons montré dans d’autres études que la mise en œuvre du scénario de transition bas-carbone décrit en 2021 par l’association négaWatt permettrait d’éviter environ 10 000 décès par an à l’horizon 2050, ce qui se traduirait par environ 40 milliards d’euros de bénéfice annuel. À l’inverse, atteindre la neutralité carbone en se reposant essentiellement sur l’électrification du parc automobile passerait complètement à côté des bénéfices sanitaires liés à l’activité physique liée aux transports actifs.
Il s’agirait là d’une formidable occasion manquée de mobiliser cette possible synergie entre atténuation du changement climatique et amélioration de la santé publique.
Cet article a été co-rédigé par Émilie Schwarz, chargée de projet scientifique au sein de l’unité Enquête de la Direction « Appui traitements et analyses des données » de Santé publique France.
2 avril 2024
Les auteurs
- Kévin Jean
Maître de conférences en épidémiologie, Conservatoire national des arts et métiers et chercheur au laboratoire Modélisation, épidémiologie et surveillance des risques sanitaires (MESuRS)
- Audrey de Nazelle
Senior lecturer, Imperial College London
- Marion Leroutier
Postdoc Fellow, Institute for Fiscal Studies
- Philippe Quirion
Directeur de recherche, économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)