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L’accessibilité
ou la solidarité réinventée
La consécration de la notion d’accessibilité dans le langage public, scientifique ou politique reflète
l’avènement d’un nouvel âge de l’accessibilité. Induite par l’avènement d’une société fondée sur la
connaissance, elle constitue un imaginaire social porté par une nouvelle conception de la citoyen-
neté et de la solidarité.
Expertise
P
ar-delà les enjeux liés au vieillissement de la popu-
lation et à ceux renvoyant à la nécessaire inclu-
sion des personnes présentant une déficience, ce
nouvel âge de l’accessibilité renvoie aux formes d’auto-
nomie conférées aux individus pour être les «acteurs de
leur devenir» et s’adapter à l’évolutivité de contextes de
plus en plus évolutifs et incertains. L’accessibilité consti-
tue en cela un nouvel imaginaire social qui est né des
transformations historiques, sociales et culturelles qui
se sont dessinées depuis la fin du XX
e
siècle et autour
duquel se redéfinissent les manières de faire société,
s’affirment d’autres manières de fonder le lien social et
de concevoir l’action publique.
Cet imaginaire social revendique ainsi une conception
expérientielle de la citoyenneté matérialisée par un exer-
cice effectif de droits individuels permis par des législa-
tions interdisant toute forme de discrimination. Il renvoie
aux enjeux démocratiques inhérents à la nouvelle écono-
mie des obligations entre la société et les individus et au
«nous affiliateur» permis par l’accès aux droits. Il invite
à se distancier d’une acception consommatoire du droit
privilégiant la multiplication de «droits à» pour mettre
l’accent sur un « droit de » centré sur la parité de
participation.
Prévenir les vulnérabilités grâce au souci
d’accessibilité universelle
À l’injustice d’une société génératrice d’insécurité
sociale, cet imaginaire social substitue par ailleurs les
iniquités d’une société dont l’inaccessibilité engendre des
discriminations institutionnelles qui entravent l’implica-
tion individuelle dans le bien-être collectif. Il promeut des
formes personnalistes de solidarités visant la protection
des possibilités de participation en lieu et place des
formes collectives de solidarités nées de la société sala-
riale autour des inégalités économiques et monétaires.
Le souci d’accessibilité universelle a vocation à prévenir
toute forme de vulnérabilité : il permet aux écoles de
garantir la réussite de tout élève, indépendamment de
ses caractéristiques ; il conduit les administrations à
faire du confort d’usage des services le moyen de trans-
former le citoyen abstrait des textes en un usager expé-
rimentant concrètement sa condition de citoyen.
La force novatrice de l’accessibilité
Cet imaginaire social reconfigure en outre l’action
publique autour de formes de normativité fondées sur
l’innovation. La force novatrice du souci d’accessibilité
réside dans la contextualisation de l’application des
textes et des normes techniques pour mettre en adéqua-
tion l’accès potentiel aux lieux et aux rôles sociaux avec
l’accès réel, tel qu’expérimenté par la personne. Elle
découle en cela de l’effet d’entraînement des conventions
élaborées pour légitimer territorialement, organisation-
nellement et fonctionnellement la question de l’accessi-
bilité au regard des enjeux comme des besoins locaux et
des habitudes de vie. Ces conventions président aux
mécanismes transformant les avancées technologiques
liées à l’accessibilisation des environnements sociaux en
innovations sociales. Elles président aussi à l’interpéné-
tration des facteurs permettant de faire environnement
en agissant conjointement sur les dimensions indivi-
duelles et collectives. L’accessibilité ne se décrétant pas,
elles sont au cœur des ruses et des routines déployées
par les professionnels pour contextualiser leurs pra-
tiques, inclure dans leurs pratiques l’expertise et les
expériences individuelles et développer des pratiques
collaboratives.
En tant qu’imaginaire social, la notion d’accessibilité
prend la forme d’un langage dont les composantes sym-
boliques reflètent de nouvelles conceptions de la citoyen-
neté et à des manières d’être et de faire essentielles à
l’édification d’un «nous solidaire». En tant que catégorie
d’action publique, elle est portée par impératif normatif
faisant de l’innovation et d’un « nous participatif » le
moyen de faire société.
Retrouvez la leçon
inaugurale de
Serge Ebersold sur
.
cnam.fr
Par
Serge
Ebersold