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Actualités
Au-delà de l’État et du marché :
l’économie sociale et solidaire
D
ans plusieurs dizaines de pays de tous les conti-
nents, le XXI
e
siècle a coïncidé avec la reconnais-
sance de l’économie sociale et solidaire (ESS) à
travers de nouvelles lois-cadres ou politiques publiques.
Deux scénarii ont aujourd’hui le vent en poupe.
Le premier scénario, celui de la continuité, est particuliè-
rement présent dans les pays du Nord. Il confirme la
séparation entre la partie valorisée de l’ESS, correspon-
dant au modèle coopératif qui est central dans les théo-
risations de l’économie sociale, et la partie sous-estimée,
correspondant aux associations. Ceci pose un problème
grandissant puisque les associations représentent une
large majorité d’emplois au sein de l’ESS. Leur instru-
mentalisation au service d’objectifs fixés par les tutelles
publiques peut dans ce cas se coupler avec la mise en
place d’un secteur public au rabais, les associations ava-
lisant le désengagement de l’État. Dans ce scénario, la
valorisation de la société civile cache une volonté de
diminution de l’intervention publique. La modernisation
de l’État implique de rationaliser les associations par
leur regroupement, ce qui va de pair avec leur confine-
ment dans une fonction de prestataires de services, de
plateforme technique. La baisse des coûts est l’objectif
prioritaire et l’évaluation est rabattue sur la standardi-
sation des résultats, ce qui n’autorise plus guère les
associations à innover ou à co-élaborer l’intérêt
général.
Ce scénario autonomise l’ESS de l’État social et la mobi-
lise comme un
social business
pouvant contribuer à un
capitalisme «d’intérêt général ». Dans ce modèle, l’ESS
serait en retard en matière de management par rapport
aux entreprises privées. Il faudrait qu’elle adopte toutes
leurs techniques ce qui lui permettrait de mieux assurer
sa fonction sociale. Cette option traduit une croyance
dans la gestion grâce à laquelle les associations arrive-
raient à remplir un nouveau rôle.
Il existe également un second scénario, plus répandu au
Sud, celui d’une socio-économie plurielle. À l’évidence,
dans celui-ci l’économie sociale et solidaire ne constitue
pas un secteur à part. Elle n’a de portée que si elle est en
mesure de peser sur la conception même de l’économie :
après une période où la société a été sacrifiée au capita-
lisme dérégulé, l’enjeu est le rééquilibrage en faveur
d’une économie au service des populations, ce qui sup-
pose des alliances avec des composantes de l’économie
marchande plus territorialisées, plus attentives aux
besoins locaux. Dans cette option, les associations ne
pallient pas le désengagement de l’État, au contraire
elles questionnent le service public dans le sens d’un
renouvellement de ses modalités d’intervention.
Néanmoins, c’est l’autre exigence de ce scénario, toutes
ces transformations de l’économie et du social ne
peuvent advenir que si les initiatives citoyennes se reven-
diquent comme espaces publics de la société civile.
L’architecture institutionnelle qui a cloisonné économie
et social en privilégiant le capitalisme marchand et l’éta-
tisme non marchand ne peut évoluer sans que des forces
sociales ne contrecarrent les clientélismes et les lobbies
qui confortent les inégalités sociales et les atteintes à
l’environnement. Les entités de l’ESS ont une activité
économique. Mais elles ne sont pas seulement des
entreprises. Elles sont aussi des lieux d’expression, des
arènes au niveau territorial pour rentrer en dialogue
avec les pouvoirs publics. L’idée est qu’une politique
publique se construit dans un dialogue à la fois conflic-
tuel et constructif avec les associations de la société
civile. Leur expression peut alors rencontrer les interro-
gations des responsables publics concernant les incerti-
tudes démocratiques.
Depuis la loi cadre de 2014, on parle souvent en France
de changement d’échelle pour l’ESS. L’ouverture au
second scénario qui en fait un vecteur de transition éco-
logique et sociale est toutefois lié à une nouvelle hybrida-
tion entre les démarches du Sud et du Nord.
Il existait depuis longtemps des entreprises non capitalistes (coopératives, mutuelles, associations)
réunies dans l’appellation de l’économie sociale. Mais à la fin du XX
e
siècle, des initiatives solidaires
se sont manifestées, dans le commerce équitable, la consommation alternative, les circuits courts,
les services de proximité, les monnaies sociales, les finances solidaires... Se reconnaissant sous
l’expression générique d’économie solidaire, elles renouent avec une volonté de transformation que
l’économie sociale avait pu oublier.
Expertise
Pour aller plus
loin:
Jean-Louis Laville,
L’économie sociale
et solidaire.
Théories,
pratiques, débats
,
2016, Seuil
Antonio David
Cattani et Jean-
Louis Laville (dir.),
Dictionnaire
de l’autre
économie
, 2006,
Folio-Gallimard
Juan-Luis Klein,
Jean-Louis Laville
et Frank Moulaert
(dir.),
L’innovation
sociale
, 2014, Erès
Jean-Louis Laville
et Anne Salmon,
Associations et
action publique
,
2015, DDB
Philippe Eynaud,
Jean-Louis Laville
et Dennis R. Young
(dir.),
Civil Society,
the Third Sector,
Social Enterprise
,
2015, Routledge
Retrouvez la leçon
inaugurale de Jean-
Louis Laville sur
.
cnam.fr
Par
Jean-Louis
Laville