mag'
21
Trois questions à...
La langue des signes est-elle mieux prise en compte
depuis la loi sur l’égalité des chances de 2005 et sa
reconnaissance en tant que langue à part entière?
La loi de 2005 a été vraiment fondamentale. Mais nous
avons besoin de mises en application concrètes. Par
exemple, dans les informations à la télévision, et dans les
médias en général, la LSF est très peu présente. À
l’école, la langue est normalement libre de choix depuis
1991 : on peut choisir la méthode orale pure, ou l’ensei-
gnement en langue des signes couplé au français écrit.
Or l’enseignement en langue des signes est très minori-
taire. L’engagement de l’État peine à se faire sentir. Nous
avons besoin de reconnaissance de la langue des signes
dans la scolarité, car l’apprentissage de cette langue est
essentiel pour pouvoir s’épanouir en tant que personne,
avec une identité propre et faire partie de la société. Elle
permet aussi un meilleur apprentissage du français,
comme deuxième langue.
Vous avez repris la direction d’
International Visual
Theatre
en 2004. Qu’est-ce qui a présidé à ce choix?
Très franchement… On est venu me chercher
(rires)
. Au
début, j’ai hésité. C’était un peu tôt. Mais en 2003, je sen-
tais que c’était important. IVT est le lieu où j’ai découvert
la langue des signes, le théâtre, la culture sourde. C’est
grâce à lui que je me suis construite. Je ne pouvais pas
les laisser tomber. Depuis que nous avons déménagé ici
en 2004, au sein de l’ancien théâtre Grand-Guignol dans
le IX
e
arrondissement de Paris, c’est vraiment devenu un
lieu physique où l’on crée ; où l’on accueille le public et
différentes compagnies en devenir qui travaillent sur la
langue des signes. Nous les recevons ici pour essayer de
développer la culture sourde et la langue des signes. Car
il existe une écriture en langue des signes. Et cette écri-
ture, c’est le théâtre !
Parlez-nous de la langue des signes et de ses
caractéristiques.
La LSF est une langue vraiment riche, au fonctionne-
ment très différent de la langue vocale. Ici, c’est le corps
qui s’exprime. Le mouvement en fait partie intégrante et
les expressions du visage sont fondamentales. Par
exemple, si les sourcils sont levés, il s’agit d’une interro-
gation. Ces mimiques faciales, très fines et sensibles,
fournissent des clés de compréhension.
On ne peut pas faire de l’à-peu-près ; les signes doivent
être précis. C’est comme une faute d’orthographe,
sinon.
Autre élément : la labialisation, c’est-à-dire le mouve-
ment de la bouche. Vous avez peut-être remarqué que je
ne parle pas la bouche fermée quand je signe. Quelques
mots français sont repérables dans le mouvement de
mes lèvres, parce que je baigne aussi dans la culture
française. La LSF compte aussi un ensemble d’onomato-
pées spécifiques, produites avec les lèvres.
Enfin, le regard. Grâce à lui, vous savez si je parle d’une
personne en particulier ou d’un concept. Il est aussi utile
pour les transferts que l’on utilise lorsqu’on incarne des
personnages : par exemple pour raconter une histoire à
des enfants. Les transferts, c’est aussi ça qui fait la
richesse de cette langue.
Propos recueillis par Aurélie Verneau
Emmanuelle Laborit est une comédienne sourde de naissance, la première à avoir reçu un Molière,
en 1993. Ce sésame lui ouvre la porte de nombreux films qu’elle tourne aux côtés de Fabrice Luchini,
Sylvie Testud, Philippe Noiret, Yolande Moreau… Depuis 2004, elle dirige l’
International Visual
Theatre
(IVT), laboratoire de recherche linguistique, artistique et de formation à la langue des
signes, lieu de rencontre unique en France entre sourds et entendants, où elle avait fait ses premiers
pas de comédienne. Elle est également l’une des figures militantes de la LSF.
Actualités
La LSF, vous intéresse? Apprenez-la !
On estime qu’il faut huit semaines de cours intensifs
pour commencer à suivre une conversation et six mois
pour être à l’aise en langue des signes. À Paris, il existe
plusieurs lieux d’apprentissage, dont voici les plus
connus :
Académie de la langue des signes française
(ALSF)
3, rue Léon-Giraud
International Visual Theatre
7, cité Chaptal
Visuel Langue des signes
13, rue d’Hauteville
Si le sujet vous intéresse, la prochaine saison d’IVT
prévoit plusieurs journées de réflexions autour du
rayonnement de la LSF dans le paysage culturel fran-
çais, du 12 au 15 octobre 2016. À bon entendeur…!
Retrouvez cette
interview en
intégralité et en
vidéo sur
blog.cnam.fr