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Grand angle
Dire le fait migratoire
Les mots et leurs enjeux
La présence de non nationaux permet de prendre la mesure de l’arbitraire légitime contenu dans les
opérations de classification et de définition des immigrés et de l’immigration (ordinaire et «clan-
destine »), celles qui organisent l’inclusion et l’exclusion nationales, c’est-à-dire celles qui per-
mettent ou qui interdisent le droit d’avoir des droits.
E
st réfugié au sens de la
Convention de Genève
de
1951, la personne qui a déposé une demande
d’asile et qui, après instruction de celle-ci, a
obtenu le statut de réfugié. La
Convention de Genève
énumère cinq causes de persécution. On peut être per-
sécuté à cause de sa «race», sa «religion», sa «natio-
nalité », son « appartenance à un certain groupe
social », ses «opinions politiques». La notion de «réfu-
gié politique» n’a en réalité aucune existence juridique.
Elle n’est mentionnée nulle part dans la
Convention de
Genève
de 1951. Pourtant elle est sur toutes les langues
et c’est elle qui surgit spontanément dès qu’il s’agit de
juger une persécution ou une demande de protection.
Sans papiers
versus
clandestins
Il existe une différence structurale importante entre le
monde des Sans papiers et le monde des clandestins.
Les Sans papiers sont un problème politique qui relève
de la négociation et du marchandage entre forces
sociales et institutions. Les «clan-
destins » (en transit ou non)
relèvent de l’urgence humanitaire.
Les Sans papiers sont devenus un
peu plus que les porteurs d’une
simple revendication, celle de vouloir vivre et travailler
en France. Ils possèdent aujourd’hui un nom commun,
se rassemblent sous une identité commune et défendent
une cause commune. Avec les Sans papiers, l’institution
d’une communauté fermée et proportionnelle devient à
la fois fragile, aléatoire, non définitive.
Cette figure se sépare résolument de celle du
«clandestin».
Si le Sans papier a déjà une «place» et tente de la léga-
liser, le clandestin ne cesse d’en chercher une et devient,
à cause de sa mobilité contrainte et de son absence d’as-
signation territoriale, un danger pour l’équilibre écolo-
gique, politique, humain et culturel de nos sociétés.
C’est à leur propos qu’à défaut d’intervenir (par impuis-
sance, indifférence, réalisme cynique ou intérêts bien
compris) sur les mécanismes politiques et économiques
qui produisent et entretiennent les mouvements forcés
de populations, les États, les ONG et les agences interna-
tionales se préoccupent avant tout de mettre en œuvre
des dispositifs informationnels pour dissuader les igno-
rants de partir en aveugle vers des contrées dange-
reuses et inhospitalières.
Du départ à l’exil
Ceux qui partent savent deux choses avec certitude, pro-
bablement les seules. Tout d’abord, que rien n’est plus
possible dans le monde que l’on veut quitter ; ensuite,
qu’avec le départ, tout redevient envisageable. Dans l’en-
visageable est inclus l’hospitalité dans un pays suscep-
tible de la donner.
Mais qu’est-ce que l’exil ? L’exil n’est ni une nostalgie ni
une douleur, c’est inséparablement une
expulsion
(mettre en dehors de) et un
mouvement
(une série de
déplacements dans le temps et dans l’espace et une
modification du système de réfé-
rence). Partir de chez soi pour
entrer par « effraction » dans la
nation d’autrui et devenir un hôte
abusif, c’est prendre la responsabi-
lité de se défaire de ses liens et donc de se délier d’une
identité civile et sociale reconnue.
Avec ces
populations embarrassantes
, il s’agit ici avant
tout de politique, c’est-à-dire de droits, de torts et de dif-
férends, en un mot de justice et d’injustice. Les scènes et
les mises en scène, comme les histoires personnelles
montrent l’universalité des épreuves et des actions et
sont autant de situations dont je peux dire qu’elles per-
mettent d’accéder d’aussi près que possible à la vie à la
fois ordinaire et extraordinaire de ces êtres innom-
mables.
Par
Smaïn
Laacher
L’exil n’est ni une nostalgie ni
une douleur, c’est insépara-
blement une expulsion et un
mouvement