Le cnam mag' #3 - page 38

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mag'
Témoignage
Nous voulons construire la
société qui nous accueille, pas
la détruire !»
«
En mars 2011, la révolution syrienne a commencé
par des smouvements de protestation dans ma
ville natale, Deraa
1
. J’ai rejoint les manifestations
contre le régime. J’ai été arrêté par la sécurité intérieure
syrienne, et incarcéré pendant 13 jours. En sortant, j’ai
repris la participation au mouvement, mais cette fois à
Damas, où je suivais des études littéraires
».
Sa voix reste claire, mais il tient à parler en français,
alors il hésite, cherche ses mots. «
J’ai donc continué
mon activisme, pacifiquement, jusqu’en septembre 2012.
Puis j’ai à nouveau été arrêté et emprisonné, sans pro-
cès, sans tribunal. Mais cette fois, ça a été un peu plus
long : je suis sorti en juin 2013
». Le silence s’installe
quelques secondes, le temps de faire le calcul dans ma
tête. Milad me devance : «
neuf mois
».
«
Après ma sortie de prison, j’avais peur tout le temps.
J’ai commencé à faire tous mes
trajets à pied, pour éviter les bar-
rages et les contrôles
».
En souriant à moitié, il ajoute :
«
D’ailleurs, en arrivant en France, j’étais effrayé en
voyant les soldats
[du plan Vigipirate, NDLR]
dans le
métro, mais maintenant ça va mieux
».
Il ne dira rien des sévices dont il a été victime en prison.
Mais de part et d’autre de cette ellipse, sur sa page
Facebook, on en prend la mesure : les articles appelant à
manifester pacifiquement cessent brutalement. Puis, la
publication d’une photo de lui, crâne rasé et amaigri,
mais fixant intensément l’objectif d’un regard
déterminé.
«
À partir de ce moment, j’ai décidé qu’il me fallait partir,
quitter la Syrie. J’ai un ami qui habite à Toulouse, il m’a
aidé à avoir un visa. Je suis allé au Liban, et de là j’ai pris
un avion pour Paris
». Comment s’est passé son arrivée,
en plein hiver, dans une ville inconnue, dans un pays dont
il ne parle pas la langue ? «
Heureusement, ma tante
vivait depuis 4 ans en région parisienne avec sa famille,
et elle m’a accueilli en arrivant. Ensuite, très vite, j’ai
voulu apprendre le français, c’était le plus important
pour moi à ce moment
». Il loge dans des chambrettes,
parfois mises à disposition gracieusement par des
membres de l’association Pierre Claver, auprès de qui il
suit des cours. «
Maintenant, j’habite en colocation à
Épinay-sur-Seine avec deux autre réfugiés syriens.
D’ailleurs, l’un des deux va aussi étudier au Cnam!
».
Après une plaisanterie sur ses talents de recruteur, il
tient à me faire de sa vision de la France et des Français.
«
Je connaissais un peu la France. En Syrie, on avait
l’habitude d’être au contact des
touristes européens
». Comme
pour se prémunir par avance d’ac-
cusations trop souvent entendues,
il ajoute : «
D’ailleurs, on savait déjà pour la situation
actuelle, pour le chômage, la crise et tout le reste
».
Vient la difficile question de l’avenir, du sien et de celui
des autres réfugiés. «
Les Syriens se rendent bien
compte que la situation ne va pas s’arranger rapide-
ment, que ça va prendre 10 ans, 20 ans ! Donc il faut
qu’on construise nos vies là où nous sommes. Bien sûr,
on pense tous à rentrer au pays un jour...
» Il s’inter-
rompt, ne sait pas comment poursuivre, on perçoit que
quelque chose le gène, mais qu’il ne sait pas comment en
parler. Finalement, il se lance.
«
En fait, j’ai passé trois heures sur Internet, cette nuit, à
«
1: Lieu des
premières
manifestations
contre le régime
de Bachar
el-Assad.
Très vite, j’ai voulu apprendre le
français, c’était le plus impor-
tant pour moi
Avec sa barbe soigneusement taillée et son piercing à l’arcade, Milad, qui prépare un certificat pro-
fessionnel de programmateur d’applications mobiles, ressemble à l’image que l’on peut se faire d’un
étudiant un peu geek s’apprêtant à suivre un cursus en informatique. Pourtant, à l’inverse de son
apparence plutôt banale, son histoire personnelle l’est beaucoup moins et nous mène de sa ville
natale de Derra en Syrie jusqu’aux amphithéâtres du Conservatoire national des arts et métiers.
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