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Sauvez un arbre, embauchez
un expert-comptable!
Madinal Rival, maître de conférences au Cnam et chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire de
recherche en sciences de l’action (Lirsa), observe à la loupe les experts comptables et chose surpre-
nante, nous démontre comment cette profession est, et sera, l’un des grands acteurs de l’indispen-
sable course au développement durable en France.
Grand angle
D
epuis les lois Grenelle de 2009-2010, les grandes
entreprises, en plus de leur bilan comptable,
doivent remettre un reporting social et environ-
nemental: la fameuse responsabilité sociétale des entre-
prises (RSE). Plus qu’une simple productrice de valeurs,
l’entreprise devient un citoyen politique et engagé.
Comme pour les bilans comptables, ces bilans sociétaux
peuvent être réalisés en interne ou externalisés. En
revanche, ils sont toujours audités par les cabinets
comptables. Le comptable a un rôle clé au sein de l’en-
treprise étant à la fois à l’extérieur en travaillant pour un
cabinet et à la fois au cœur du réacteur, garant de ses
chiffres et donc de sa survie. Cette position privilégiée
fait de lui le passeur de bonnes pratiques idéal et dans
notre cas, le meilleur transmetteur que l’État puisse
trouver pour pousser des entreprises de petite et
moyenne taille à elles aussi prendre en compte les pré-
occupations sociales et environnementales.
Assurer la survie de son activité en développant une
nouvelle mission
Comme toute entreprise, les cabinets d’experts comp-
tables doivent assurer leur pérennité en générant du
chiffre d’affaires et pour ce faire,
peuvent emprunter deux voies :
celle du conseil et celle de la vente
de nouvelles missions. C’est cette
seconde voie que des cabinets ont choisi d’emprunter, se
diversifiant pour les plus gros et optant pour une straté-
gie de niche pour les petits. Il s’agit pour eux de
convaincre des entreprises qui ne sont pas encore obli-
gées de le faire mais pourraient l’être un jour ou qui
pourront se servir de ces résultats et de ce thème por-
teur dans leur communication. Ainsi il est généré de la
valeur pour le cabinet d’experts comptables, pour l’en-
treprise et pour ses clients. Monde merveilleux dans
lequel, pour une fois, le business et l’éthique se
rejoignent…
Et puis faire parler d’elle est aussi un moyen de faire
vivre une profession, ce qu’a compris le Conseil
supérieur de l’Ordre des experts comptables. Et ce sujet
du développement durable, à la fois consensuel, d’utilité
publique et très médiatisé, est l’outil idéal !
Le monopole détenu par les experts comptables, profes-
sion réglementée, implique qu’ils doivent continuer à
être, aux yeux de l’État, incontournables afin que celui-ci
non seulement le maintienne mais même, l’élargisse. En
effet s’ils ont le monopole concernant la comptabilité des
entreprises, ils n’ont pas celui de l’analyse des chiffres.
Leur implication dans des questions liées au développe-
ment durable leur permettra d’asseoir leur rôle de
citoyen et d’interlocuteur obligatoire du politique qui
pourra faire pencher la balance en faveur du maintien de
leur position privilégiée.
Après un an de recherche, la conclusion est paradoxale
car si les experts comptables voient en la réalisation de
bilans sociaux et environnementaux dans les petites et
moyennes entreprises des intérêts économiques et
sociétaux pour eux mais aussi pour leurs clients, ils sont
aujourd’hui peu nombreux à œuvrer en ce sens, par
manque de temps, de culture, de formation. Selon
Madina Rival et sa collègue Frédérique Déjean, profes-
seure à l’Université de Lorraine,
cela prouve que la formation est
primordiale et que les élèves comp-
tables doivent apprendre les
aspects techniques des normes sociétales. La profes-
sion, elle, a d’ores et déjà pris le virage COP21 en la
signalant notamment comme un enjeu important dans
le programme du congrès annuel de l’Ordre des experts
comptables qui s’est tenu en octobre dernier à Paris.
DT
Un monde merveilleux dans
lequel le business et l’éthique
se rejoignent !