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Trois question à...
On parle souvent de la langue arabe mais de
nombreux français la méconnaissent. Quel arabe est
actuellement enseigné ?
Nous avons d’abord l’arabe classique pour lequel nous
disposons de multiples sources : la poésie préislamique,
le Coran, la correspondance officielle de Muhammad et
des premiers califes comme des récits relatifs à la vie
arabe et bédouine.
Ensuite l’arabe littéral. Il s’agit de l’arabe de la presse,
des médias, des conférences. Les arabophones qui ne
parlent pas le même dialecte y ont recours. C’est cet
arabe qui est enseigné dans les collèges, lycées et uni-
versités. Il est accessible et permet la
compréhension de tous les locuteurs
des pays arabes.
Enfin le dialecte, fondamentalement
oral, est la langue maternelle des
arabophones, c’est le mode d’expres-
sion naturel quel que soit le niveau
social ou culturel du locuteur. C’est la
langue du quotidien, utilisée à la mai-
son, mais aussi au travail et dans les
médias. La connaissance de l’arabe
littéral ou d’un dialecte offre incon-
testablement des avantages à ceux
qui communiquent, dialoguent,
échangent, négocient et commercent avec le monde
arabe.
Justement, existe-t-il un problème avec
l’enseignement de la langue arabe en France?
Sans hésitation, oui, il y a un problème : elle n’est pas
considérée comme les autres langues, elle est traitée dif-
féremment. Dans le primaire, les cours d’arabe sont dis-
pensés dans le cadre des Elco. Cet enseignement a deux
inconvénients. Primo, les enseignants sont recrutés par
le pays d’origine et nous n’avons aucune idée du discours
tenu aux enfants. Secundo, il n’y a aucune continuité
dans le collège du secteur.
Les collégiens, arrivés en seconde, ne peuvent pas pour-
suivre l’enseignement de l’arabe dans le lycée de leur
choix et sont obligés de se déplacer le samedi ou le mer-
credi, hors temps scolaire, dans les lycées qui daignent
l’enseigner. Ainsi, chaque année, 6 000 élèves passent,
sans aucune préparation dans leur lycée, l’épreuve
facultative d’arabe au bac. Un grand nombre de ces can-
didats se sont préparés à cette épreuve dans une mos-
quée ou une association cultuelle. Qu’apprennent ces
élèves dans ces structures ? Qui sont leurs formateurs ?
Quel cursus ces derniers ont-ils suivis ?
Quels bénéfices pourrait-on tirer d’un élargissement
de l’enseignement de l’arabe?
Aujourd’hui, l’islamisme et la langue arabe se retrouvent
indissociablement liés, et cela a pour conséquence la
stigmatisation de la langue et de sa culture. Or, plus on
approche une langue, plus on s’approche des codes
culturels des locuteurs de cette langue, plus on réduit les
clichés à son encontre, mieux on
communique, mieux on vit ensemble.
Il semble donc vital de réhabiliter
cette langue. L’arabe doit envisager
son retour au sein de la République.
Et ce sont des professeurs d’arabe,
choisis par l’éducation nationale lors
de concours, qui doivent dispenser
cet enseignement. Ils sont un rem-
part contre l’embrigadement et le
recrutement.
Élargir l’offre linguistique à l’arabe
permet aussi une véritable ouver-
ture ; il est fort probable que des sala-
riés renoncent à suivre des formations à cause de leur
méconnaissance de l’anglais, alors qu’ils connaissent
l’arabe, une compétence non négligeable.
Enfin, intégrer l’arabe dans les parcours de formation,
c’est lui reconnaître son utilité pour l’emploi et pour les
relations internationales : dans le contexte géopolitique
actuel, communiquer en arabe est un atout certain.
Propos recueillis par Victor Haumesser
MeryemMarouazi est professeure d’arabe et chargée de mission au Cnam. Elle préconise, dans un
récent rapport, l’ouverture de modules d’enseignement d’arabe ouverts à tous mais aussi la créa-
tion d’un enseignement d’ «arabe professionnel» pour les arabophones qui pourraient ainsi valori-
ser leurs compétences dans cette langue.
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