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Le premier centre africain de
prospective
N
ée il y a près de soixante ans dans l’esprit du phi-
losophe Gaston Berger, la prospective est un
objet particulier qui apporte à la question de
l’avenir une réponse tout à fait singulière. Contrairement
à la prophétie, ou, dans une version plus moderne, la
futurologie, elle ne propose aucune révélation. Elle se
nourrit de philosophie, d’éthique, d’histoire, de sociolo-
gie… et développe aussi bien les fondements d’une atti-
tude individuelle face à l’avenir que les bases d’une
méthode pour agir collectivement. Elle permet ainsi à
l’homme de prendre conscience de sa capacité à réaliser
ses projets malgré, ou plutôt grâce à l’incertitude du len-
demain. Alliant inquiétude intellectuelle et optimisme
d’action, elle lui offre les moyens de changer, d’améliorer
son sort en connaissance de cause, c’est-à-dire de
progresser.
La première chaire de prospective est créée au
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) en
1982. En trente ans, elle passe du domaine de la «pros-
pective industrielle», attestant de ses relations avec les
entreprises, à celui de la « prospective stratégique »,
rappelant sa nécessaire inscription dans la construction
de projets et son rapport formel avec la décision et l’ac-
tion dans les organisations. En 2012, la nouvelle chaire
de prospective du Cnammarque une rupture, à la fois de
génération et d’époque, avec un intitulé à double entrée,
«prospective et développement durable», et l’ambition
de mettre en œuvre l’ensemble des missions du Cnam
dans ces deux domaines. En établissant un tel lien, elle
montre que l’anticipation, dans le respect des valeurs et
des principes posés par les fondateurs de la prospective,
conduit à une action responsable. Le Cnam, qui porte
ainsi l’héritage de l’école française de prospective telle
qu’initiée par Gaston Berger, est le seul établissement
français d’enseignement supérieur à former à la pros-
pective et à délivrer un master et un doctorat dans cette
spécialité.
Depuis plus de quarante ans, le Cnam est présent dans
22 pays francophones d’Afrique et du Maghreb. Dès
1975, il noue une relation partenariale avec l’Institut
national polytechnique Houphouët-Boigny (INP-HB), à
travers son Institut national des techniques écono-
miques et comptables (Intec). En septembre 2013, la
signature d’une convention avec l’INP-HB et les minis-
tères ivoiriens de la formation professionnelle et de l’en-
seignement supérieur, permet l’ouverture, en novembre
2014, du centre INPHB – Cnam Côte d’Ivoire, qui
accueille aujourd’hui plus de 700 élèves en expertise
comptable, génie civil, informatique, génie industriel,
agroalimentaire et entrepreneuriat.
Dans un pays confronté à la massification de la scolari-
sation, à l’inadéquation entre les certifications et les
besoins des secteurs industriel et commercial, et à l’in-
sertion sociale et professionnelle d’une partie non négli-
geable de la population, « démobilisée » après les
événements qui ont suivi la dernière élection présiden-
tielle, le centre INPHB-Cnam Côte d’Ivoire porte le projet
du premier centre africain de prospective. Avec l’appui
du Cnam et le soutien de la Banque mondiale et de
l’Agence française pour le développement (AFD), ce
centre permettra la formation de prospectivistes sur le
continent africain, dans les organisations publiques et
privées, afin de développer une analyse globale au ser-
vice des politiques publiques de développement, de la
croissance économique et de l’émergence solidaire.
Avec la mise en place d’un ensemble de certifications,
allant jusqu’au doctorat à l’horizon 2018, ce centre don-
nera aux acteurs africains les outils pour «penser leur
avenir » et faire entrer en résonance leurs réflexions et
les actions à mettre en œuvre, notamment face aux
enjeux du développement durable (démographie, migra-
tions, industrialisation, territorialisation du développe-
ment…), avec l’esprit et la rigueur de la méthode
proposée par l’école française de prospective.
Philippe Durance & Laurent Perez
Le prospectiviste ne prédit pas l’avenir, mais trace des pistes pour que nous puissions l’inventer. À la
croisée de nombreux domaines, cet expert sait en extraire une analyse globale au service des poli-
tiques de développement. Il était donc logique que l’Afrique se dote de son premier centre de pros-
pective, qui vient d’éclore au centre INP-HB — Cnam Côte d’Ivoire.
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