Le cnam mag' #3 - page 21

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Enquête
«Est-ce une langue que l’on
méprise, ou ceux qui veulent la
parler?»
Alors qu’elle est parlée par trois millions de personnes dans notre pays, l’arabe n’est manifestement
pas une langue comme les autres. Par crainte du communautarisme, par manque de volonté poli-
tique, son enseignement dans le primaire et le secondaire souffre d’un manque flagrant de moyens.
Au risque de laisser le champ libre aux associations religieuses. Pourtant, difficile de croire que la
deuxième langue la plus parlée en France ne serait que celle d’une communauté.
S
eptembre 2009. Sur le plateau de télévision d’une
grande chaîne d’information, un homme politique
propose de renforcer l’enseignement de l’arabe
au collège et au lycée. Rapidement, le journaliste l’inter-
rompt : «
Il n’y a pas de dérive possible? Parce que, bon…
Vous voyez bien… l’apprentissage de l’arabe…
».
Quelques instants plus tard, à la question de savoir s’il
encouragerait ses enfants à apprendre cette langue,
notre homme politique s’en étonne : «
Mais pourquoi
donc ? Je ne suis pas de culture arabe !
». Comment
expliquer un tel malaise, alors que l’université, les
classes préparatoires et les grandes écoles ont depuis
longtemps intégré l’arabe dans leurs cursus ? Langue
civilisationnelle, elle est aussi un atout économique: pen-
dant les dix dernières années, le montant des échanges
entre la France et les 23 pays ayant adopté l’arabe
comme langue officielle a bondi de plus de 50%. C’est
l’une des six langues officielles de l’ONU. Sa présence
est forte dans les domaines du tourisme, de l’aide huma-
nitaire, de la diplomatie, du renseignement… Ainsi, au
ministère des Affaires étrangères, les candidats à
l’épreuve d’arabe dépassent aujourd’hui en nombre ceux
qui choisissent l’allemand. Et du côté des 25 universités
françaises qui proposent un cursus en arabe, le nombre
d’étudiants inscrits a été multiplié par dix en dix ans.
Mais, si l’enseignement supérieur comprend l’utilité
d’une langue qui sera parlée par 750 millions de per-
sonnes en 2050, la situation est loin d’être satisfaisante
au primaire et au secondaire. Actuellement, l’arabe peut
être appris à partir du CE1, sous forme d’enseignements
de langue et culture d’origine (Elco) qui existent en
France depuis 1977, en application de directives
européennes demandant aux pays membres de s’assu-
rer que les enfants de migrants ne soient pas coupés de
leur culture. Ces enseignements concernent six autres
langues : portugais, turc, serbe, croate, espagnol et ita-
lien, à raison d’1h30 à 3h hebdomadaires, hors temps
scolaire. Dans le cas de l’enseignement de l’arabe, les
critiques s’accumulent notamment en raison du faible
niveau de compétence de certains enseignants, mis à
disposition par les autorités consulaires de la Tunisie, du
Maroc et de l’Algérie. Bien que peu nombreux en regard
des 60 000 élèves concernés, des incidents ont été rap-
portés, principalement en rapport avec des pratiques
pédagogiques dépassées et des contenus liés à la
religion.
Nada Yafi, responsable du Centre de langue et de civili-
sation arabes de l’Institut du monde arabe (IMA), sou-
ligne les limites de ce système. «
La langue arabe est vue
comme une question liée aux origines, et ne s’adresse
qu’aux enfants des familles immigrées. Ce qui ne peut
qu’entraîner une ghettoïsation de cette langue. De plus,
l’existence même des Elco bloque l’émergence d’un
enseignement national de qualité
». Malheureusement, il
semble difficile de les supprimer, tant la susceptibilité
des pays partenaires est grande sur ce sujet. Depuis
quelques années, l’IMA a donc élargi son offre de cours
à un public plus jeune. Comme l’explique Nada Yafi, «
les
familles qui n’ont pas de lien avec la culture arabe n’ins-
crivent pas leurs enfants dans des cours qui s’annoncent
comme étant ceux d’une "culture d’origine", pourtant
ouverts à tous depuis 2009
». Ce sont ainsi 350 enfants
qui sont accueillis, parmi les 2000 élèves qui étudient à
l’IMA, en majorité des professionnels : journalistes,
Actualités
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