Le cnam mag' #3 - page 22

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mag'
Enquête
médecins, avocats, ingénieurs, enseignants en langue...
Les familles d’origine arabe elles-mêmes semblent pré-
férer les cours privés. Jasmine est née en France il y a
une quarantaine d’années. «
Mes parents, tunisiens,
étaient obsédés par l’idée de s’intégrer, à tel point qu’ils
ne parlaient jamais arabe avec mes frères et moi. Ce
n’est que lorsque mon fils a commencé à poser des
questions sur ses origines que j’ai réalisé que j’avais été
privée d’une partie de mon identité. Je ne veux pas
reproduire ça avec lui
». L’an prochain, à son entrée en
6
e
, il fera peut-être partie des 9000 élèves du secondaire
qui apprennent l’arabe. Mais rien n’est moins sûr, tant
les établissements qui l’enseignent sont peu nombreux :
sur les 111 collèges parisiens seuls
trois sont concernés. Idem pour
toute l’agglomération lyonnaise. Et
il n’y en a tout simplement aucun
dans plus de la moitié des départements. Pourtant, les
rares classes qui ouvrent font très rapidement le plein.
Mais les enseignants manquent : ils sont passés de 218
en 2010 à 187 en 2014, alors que dans le même temps, le
nombre d’élèves progressait de 28 %. Et si 4 postes
étaient ouverts au Capes cette année, en 2011, 2013 et
2014 il n’y en avait aucun. Pourquoi la langue arabe ne
bénéficie-t-elle pas du même traitement que le chinois
(20 000 élèves) ou le russe (15 000), pour lesquels des
dotations suffisantes ont été pérennisées?
En attendant, les classes d’arabe dans les établisse-
ments prestigieux, comme les lycées internationaux ou
le lycée Henri IV à Paris font le plein. Mais dans les quar-
tiers plus sensibles, les chefs d’établissement rechignent
à élargir leur offre à l’arabe. Si aucun n’a voulu être cité,
les mêmes raisons reviennent souvent : «
Je n’ai pas
envie d’attirer un public difficile
», ou plus surprenant
encore : «
On l’avait envisagé, mais j’ai des élèves juifs et
leurs parents ont tout fait pour que le projet capote
».
Faute de pouvoir être assumée par l’enseignement
public, la très forte demande a suscité l’émergence d’une
offre proposée par une myriade d’instituts privés, "d’as-
sociations cultuelles" et de mosquées. Ce sont plus de
50 000 jeunes qui bénéficient de leurs enseignements,
soumis à aucun contrôle, ni sur leurs contenus, ni sur
leurs méthodes. Les risques vont bien au-delà d’un
enseignement de médiocre qualité : renforcement des
réflexes communautaires, prosély-
tisme et radicalisation religieuse.
Pourtant, de nombreux respon-
sables politiques, comme Marion
Maréchal-Le Pen en janvier 2013, continuent de deman-
der sur un ton faussement ingénu si « 
l’enseignement
public de l’arabe ne renforcerait pas la communautari-
sation de la France et un abandon de l’assimilation répu-
blicaine ?
». Un raisonnement à mettre en regard de
celui de Jasmine et de son mari : «
Nous ne sommes pas
pratiquants, ça n’aurait aucun sens d’envoyer notre fils
dans une mosquée pour qu’il apprenne l’arabe en réci-
tant des sourates du Coran
». Et de se poser eux aussi
une question : «
Est-ce une langue que l’on méprise, ou
ceux qui veulent la parler ?
»
VH
Librairies
Dans les quelques librairies spé-
cialisées du 6
e
arrondissement, on
confirme aussi l’engouement pour
les méthodes et les manuels
d’arabe. « 
Il y a une dizaine d’an-
née, on trouvait 2 ou 3 méthodes
tout au plus, maintenant il y en a
plus d’une vingtaine. Et même les
grands éditeurs pédagogiques, se
lancent sur ce marché. C’est bien
la preuve de sa vitalité !
».
Qui sont les acheteurs ? «
Chaque
filière recommande des ouvrages,
alors c’est facile de savoir d’où
viennent nos clients: étudiants de
l’Institut national des langues
orientales ou de la Sorbonne, pro-
fessionnels qui suivent des cours
du soir...
».
Une demande soutenue, à une
exception près : les manuels pour
les enfants restent peu demandés,
les mosquées et les associations se
s e r v a n t d e l e u r s p r o p r e s
méthodes.
Arabophonie mon amour
À l’opposé de la situation actuelle,
la langue arabe a bénéficié pen-
dant longtemps d’un intérêt cer-
tain : la chaire d’arabe du Collège
des lecteurs royaux (qui deviendra
le Collège de France) fut créée en
1540, et celle de l’École des langues
orientales (qui deviendra l’Institut
national des langues et civilisations
orientales) est inaugurée en 1795.
Pour l’anecdote, Colbert, par un
arrêté de 1669, avait décidé que
« 
tous les trois ans six jeunes
Français seraient envoyés aux cou-
vents des capucins d’Istanbul et de
Smyrne, pour y apprendre les lan-
gues orientales
». Quant à l’agré-
gation d’arabe, elle fut instituée
dès 1906, au même moment que
celles d’espagnol et d’italien.
Calam
Firas Alzain est syrien, en France
depuis 2010. Il a été assistant
d’arabe en collège pendant deux
avant de créer Calam, acronyme
de Centre d’apprentissage de la
langue arabe moderne, et qui
signifie « la parole » en arabe. De
toutes les structures dispensant
des cours d’arabe (mosquées,
associations communautaires et
instituts privés), il est le seul à nous
avoir proposé une visite.
Il confirme l’engouement actuel :
«
Vu la demande, nous pourrions
facilement ouvrir d’autres classes.
Mais les enseignants compétents
sont rares, et cela freine le proces-
sus
». Mais, Calam ne propose pas
de cours pour enfants car «
c’est
un domaine trop différent de la
formation pour adulte. De plus, il
faudrait acquérir du matériel
pédagogique spécifique, et je ne le
trouve pas suf fisamment au
niveau
».
Sur les 1 1 1 col lèges que
compte la capitale, seuls trois
enseignent la langue arabe !
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