Le Cnam mag' #6 - page 11

mag'
11
L
a ministre de la Santé, Marisol Touraine, a
annoncé il y a peu le retour à l’équilibre de la
Sécurité sociale. Néanmoins, si les branches
retraite, accidents du travail et famille vont mieux, il n’en
est pas de même s’agissant du Fonds solidarité vieillesse
et de la branche maladie qui cumuleront plus de six mil-
liards d’euros de déficit. En outre, l’objectif national des
dépenses de l’assurance maladie (Ondam) suppose la
réalisation de quatre milliards d’économie l’année pro-
chaine
1
, ce qui incite à examiner les gisements de res-
sources disponibles au sein même des organisations de
santé.
Il faut en effet souligner le rôle majeur du management
dans l’amélioration de la performance de notre système.
Les personnels, cadres et dirigeants peuvent travailler
ensemble à la régulation de nombreux dysfonctionne-
ments : locaux mal agencés sources de perte de temps ;
épuisement professionnel ; antibiotiques consommés
pour prendre en charge des infections qui auraient pu
être évitées... Les défauts sont le fruit d’une organisation
défaillante dans son ensemble. Ils prennent naissance à
un instant T dans un service donné, et ont des consé-
quences petites et grandes, directes et indirectes,
visibles et cachées, immédiates et différées. Au cours de
nos travaux de recherche, des collègues et moi-même
avons montré un niveau de coûts cachés (indicateurs
financiers extra-comptables) pouvant aller de 10 000 à
30000 euros par an et par personne salariée.
2
Ces res-
sources sont gaspillées pour réguler l’absentéisme, les
accidents du travail, le
turnover
, mais également les
sous-productivités et les défauts de qualité, autant de
difficultés présentes dans tous les services et qui ont des
conséquences sur la qualité des soins autant que sur la
qualité de vie au travail.
La santé coûte de plus en plus cher, notamment sous
l’effet des progrès technologiques et scientifiques. Il
semble donc crucial de réduire les gaspillages ne serait-
ce que pour faire face à différents enjeux majeurs : favo-
riser l’égalité d’accès aux soins des plus démunis, mais
également faire face aux maladies cardiovasculaires,
aux cancers, aux maladies chroniques et au vieillisse-
ment de notre population.
3
Sandra Bertézène
Vieillir ici ou là-bas...
le dilemme des
«Chibanis»
4
?
Quelles pratiques
managériales pour les
services de santé?
S
i la question de l’intégration des immigrés et de
leurs descendants a été largement abordée, celle
des retraités et des migrants vieillissants a long-
temps été négligée.
5
D’abord par les pouvoirs publics, et
cela sans doute à cause du désintérêt pour le vieux
migrant devenu « improductif ». Mais aussi par le
monde académique, plus préoccupé par la question de
l’intégration à la société française de descendants d’im-
migrés. Il faudra ainsi attendre le début des années 1990
pour que les premiers s’emparent de cette probléma-
tique. Les conditions de vie des immigrés nord-africains,
notamment en foyers, ont tout d’abord occupées les
chercheurs. Au moment de la retraite, l’isolement et la
précarité sont exacerbés par les conditions de logement,
les revenus faibles et les problèmes de santé liés à la
pénibilité de leurs activités. À cela s’ajoutent les pra-
tiques d’encadrement des foyers dirigés en majorité par
des anciens militaires ayant fait la guerre d’Algérie et à
qui l’on a donné la mission de «
tenir ses hommes
»
(Hmed, 2006)
6
. Leurs méthodes sont justifiées au nom
de la sécurité et de la tranquillité des résidents, «
consi-
dérés comme incapables par leurs déterminismes cultu-
rels de faire régner l’ordre
».
Les recherches prennent aujourd’hui davantage en
compte les liens familiaux pour comprendre les raisons
du non-retour au pays d’origine. Ainsi, pour Sylvie
Emsellem, «
la présence ou l’absence de la famille en
France, le maintien ou la distance des liens familiaux
entre les deux rives de la Méditerranée sont des para-
mètres fondamentaux pour décrypter la trajectoire des
immigrés, notamment à l’heure de la retraite alors qu’ils
résident en France
».
7
Parmi ses conclusions, les retrai-
tés migrants vieillissants en famille préfèrent rester en
France, tandis que ceux ayant laissé femmes et enfants
au pays trouvent dans le va-et-vient entre ici et là-bas
une forme d’équilibre. Quant à ceux qui ont rompu tout
lien avec leur famille restée au pays, ils demeurent en
France dans un isolement total.
C’est aussi dans cette perspective que j’ai dirigé avec
Marcel Jaeger un dossier spécial pour la revue
Hommes
et migrations
consacré à la question du vieillissement
des immigrés.
8
À l’heure de l’adoption de la loi du
28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au
vieillissement, il propose de réfléchir tant à la place des
personnes âgées migrantes dans notre société que sur
les dispositifs publics de prise en charge et d’accès aux
droits, au logement et aux soins des personnes âgées
migrantes.
Mohamed Madoui
3
4
Actualités
4:
« Vieillard » en
arabe maghrébin
5:
Nous reprenons
à notre compte
la définition de
Bas-Theron F.
et MichemM.,
Rapport sur
les immigrés
vieillissants
, IGAS,
2002.
6:
Hmed C., «Tenir
ses hommes.
La gestion des
étrangers "isolés"
dans les foyers
Sonacotra après la
guerre d’Algérie»,
dans
Politix
, n°76.
7:
Emsellem S.,
«Décrypter le
vieillissement des
immigrés sous
l’angle de leurs
liens familiaux»,
dans
L’année du
Maghreb
, 2007.
8:
Jaeger M.
et Madoui M.,
«Les migrants
face aux défis du
vieillissement»
dans
Revue
Hommes et
migrations
. Article
issu du n°1309,
mars 2015 : «Le 3
e
âge des migrants»
1:
Voir le détail sur
le site de la Cours
des comptes
2:
Bertezene S. et
al., «Quality and
non-quality in the
health sector»,
dans
Sinergie
,
n°85/11; Zardet et
al., «Gestion de la
coopération inter-
professionnelle à
l’hôpital», dans
Journal de gestion
et d’économie
médicales
2011/6
(Vol. 29).
3:
Bertezene S.,
Vallat D.,
Manager
la RSE dans un
environnement
complexe. Le cas
du secteur social
et médico-social
,
Paris, EMS, 2015.
I...,1,2,3,4,5,6,7,8,9,10 12,13,14,15,16,17,18,19,20,21,...50
Powered by FlippingBook