Le Cnam mag' #6 - page 13

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confronte aussi avec d’autres moyens d’expression pour
voir comment elles peuvent dialoguer avec d’autres
technologies.
Curieusement, j’ai découvert que sur une scène de
théâtre ou d’opéra comme dans un musée, j’avais le sen-
timent de me retrouver un peu dans mes cases. Il y a des
espaces clos avec des entrées et des sorties, une magie
de la lumière, une temporalité, des décors... qui me rap-
prochent de mon métier. J’y suis donc allé avec beau-
coup plus de sérénité que je ne serais allé vers le cinéma.
D’ailleurs, je n’ai jamais voulu être réalisateur. Même si
les Américains ont réussi de très belles adaptations,
bande dessinée et cinéma sont pour moi de faux amis. Et
je travaille suffisamment avec des cinéastes pour me
rendre compte que ce sont vraiment des moyens d’ex-
pression totalement différents, même si pour certaines
personnes lire une bande dessinée c’est un peu regarder
un film.
Quel est le fil rouge entre ces multiples expériences?
Le récit. Le récit, c’est à dire le fait d’être à la recherche
de ce qui nourrit l’imagination. Par exemple, participer
comme dessinateur à la mission « Scan Pyramids »
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,
c’est se confronter aux secrets de la grande pyramide,
c’est se donner le temps de tisser un lien avec les poten-
tialités de l’histoire, avec les mythes. Je suis un dessina-
teur qui a besoin d’une trame narrative et lorsque je
conçois une image, elle est nourrie de récit, elle est gor-
gée d’histoire. Je ne suis pas un très bon graphiste alors
j’ai besoin que chaque dessin soit pour le lecteur comme
un petit moment de voyage, que son œil se pose sur mes
images, se perde et les traverse. J’adore lorsque l’on
passe du temps dans une image.
C’est la raison pour laquelle vous prolongez souvent
vos bandes dessinées à travers des expositions?
Faire vivre une bande dessinée au-delà du papier est
vraiment une question qui m’obsède. Aujourd’hui
chaque publication est perdue au milieu de milliers
d’autres, dont certaines sont magnifiques et se suffisent
à elles-mêmes. Mais, personnellement, j’ai toujours le
sentiment que mes œuvres sont fragiles, qu’elles ont
besoin de s’épanouir autrement, de s’adosser à une
autre dimension, de résonner sur un autre support que
le papier. Une exposition, c’est un peu comme une
ancre…
En tout cas, c’est comme cela que j’ai pensé
Machines à
dessiner
, car le Conservatoire est un lieu d’ancrage dans
l’histoire française. Et aussi dans mon histoire person-
nelle, depuis ce coup de cœur incroyable lors de ma pre-
mière visite jusqu’au projet de rénovation de son Musée
puis de sa station de métro. C’est un lieu que j’adore, un
lieu magique, mystérieux. À travers cette exposition, il
ne s’agit donc pas simplement de raconter l’histoire de
l’album, mais de le faire dialoguer avec autre chose, de
créer une passerelle entre deux mondes : le pouvoir de
fascination dont disposent les machines et le plaisir que
le dessiner peut donner à voir de cela.
Cette exposition n’a donc pour seule ambition que de
faire résonner le goût du dessin et le plaisir que le dessin
peut procurer, de faire surgir un désir et un bonheur
naturel de dessin. Tout le monde a déjà éprouvé l’envie
de dessiner, de poser son empreinte sur le papier, de
créer des formes, de révéler des émotions... Je souhaite
favoriser et faire émerger ce goût-là. Car, pour moi le
dessin n’est pas une question de capacité ou de talent
mais avant tout une question d’appétit. La question n’est
pas de pouvoir ou de savoir dessiner, mais de prendre du
plaisir et d’en avoir une envie féroce.
Un pouvoir de fascination des machines qui explique
votre intérêt pour les moyens de transport ?
J’ai une réelle fascination pour les locomotives mais ce
qui m’intéresse, au-delà des objets en eux-mêmes, c’est
ce qu’ils représentent et ce qu’ils nous apprennent sur
notre société et son évolution. Nous voyons bien les défis
qui entourent les moyens de transport que nous utilisons
au quotidien car le déplacement est aujourd’hui encore
au cœur de nos modes de vie. Il est l’expression de nos
ambitions comme de nos lâchetés, notamment lorsque
nous avons laissé une place trop importante aux voitures
polluantes qui ont donné naissance à nos villes
asphyxiées. Les transports sont ainsi l’une des meil-
leures entrées pour penser la ville et la société, et sur-
tout pour anticiper l’avenir car ils nous obligent
constamment à les imaginer autrement.
De ce point de vue, nous les avons toujours pensés plus
rapides. Aujourd’hui, nous ne pourrons pas aller beau-
coup plus vite qu’un Thalys entre Paris et Bruxelles, et de
toute façon le gain de temps ne sera pas très intéressant.
En revanche, nous pouvons désormais imaginer ce que
les moyens de transport pourront nous apporter de plus,
individuellement et collectivement, au-delà du simple
fait d’aller d’un point à un autre : une manière de décou-
vrir le monde. Je rêverais ainsi que nos moyens de loco-
motion soient aussi des lieux où l’on puisse comprendre
une ville, la ressentir. Qu’un déplacement ne soit pas
simplement un parcours, mais une initiation, un voyage.
Est-ce cette envie de voyage qui vous conduit à
choisir Paris pour planter le décor de
Revoir Paris
?
Paris est une ville avec laquelle j’entretiens un lien très
profond même si je ne m’en rendais pas obligatoirement
compte. Pourtant, mes regards ont souvent été tournés
vers elle, vers ses richesses architecturales et cultu-
relles, sa diversité. Avec Benoît Peeters, qui lui est pari-
sien depuis longtemps, nous souhaitions travailler sur
cette icône. Mais, une icône c’est intimidant, et nous
nous sentions incapables d’avoir un regard juste.
Jusqu’au jour où nous avons trouvé l’histoire qui faisait
de Paris une évidence, une vraie nécessité aussi. Elle
s’imposait d’elle-même.
Et puis, lorsqu’on vient d’une ville comme Bruxelles, on
est fait pour aller voir autre part. C’est une ville qui
regarde vers ailleurs, traversée par des voitures, des
trains, des avions... Elle vous pousse à partir mais aussi
à revenir. Bien sûr, c’est la capitale de la Belgique, mais
elle est aussi détachée de toute appartenance. Elle n’est
pas vraiment flamande, pas véritablement wallonne, elle
est sur une ligne de fracture. C’est ça qui me plaît en elle,
comme si elle était posée sur une faille tectonique entre
deux mondes qui vont se séparer. Cela la rend atta-
chante, même si les difficultés, liées notamment à son
identité, sont évidentes contrairement à Paris où l’on
naît et où l’on est parisien.
Propos recueillis par YBoude
Actualités
1:
Scan Pyramids,
conçue et
coordonnée par
l’Institut HIP,
est une mission
scientifique
dédiée à la
connaissance des
pyramides, et plus
particulièrement
à leur architecture
intérieure.
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