Le Cnam mag' #6 - page 21

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Trois questions à...
Comment s’est construite la prohibition du cannabis
en France?
La France a été le premier pays à interdire le cannabis,
en 1916, il y a exactement 100 ans ! Cette loi prohibait
également l’opium, l’héroïne et la cocaïne, consommés
« en société », comme le prévoyait la Convention inter-
nationale de La Haye (1912). Pourquoi les législateurs
français ont-ils rajouté le cannabis ? Mystère, vu qu’il
n’était quasiment pas consommé à l’époque... Il faut
attendre les années 70 pour que l’usage du cannabis se
développe en France. Jusque-là, les seuls produits psy-
choactifs étaient le tabac et l’alcool. La loi de 1970 prévoit
pour les consommateurs une amende de 3 750€ et une
peine de prison (jusqu’à un an), ainsi que des mesures
alternatives aux poursuites pour ceux qui acceptent de
se désintoxiquer. Elle pénalise aussi l‘usage solitaire. La
loi, toujours en vigueur, ne fait pas de distinction entre
les produits alors même qu’elle est conçue pour l’hé-
roïne. Présenter la drogue sous un jour favorable devient
un délit. Ce dernier article est très pénalisant pour la
prévention. La loi prévoit aussi des peines d’emprisonne-
ment pouvant aller jusqu’à 20 ans pour les trafiquants.
Quels sont les mécanismes neurobiologiques d’action
de cette substance?
On sait encore peu de choses. Les récepteurs cannabi-
noïdes (CB1) activent indirectement le système de la
récompense comme tous les produits psychoactifs. Ils
sont absents du tronc cérébral, où se trouvent les
centres respiratoires, préservant de toute overdose
mortelle. Le risque de dépendance existe mais il est
faible, estimé à environ 10% des usagers réguliers.La
plupart des consommations occasionnelles chez les
adultes ne sont pas problématiques en dehors de la
conduite de véhicule. Le problème majeur est celui des
consommations intensives chez les plus jeunes, car le
système de la récompense n’est pas mature avant 20
ans. Ces consommations intensives, et en général soli-
taires, peuvent perturber les apprentissages et
empêchent l’adolescent d’affronter le monde. Même si le
THC (principe actif du cannabis) n’est pas neurotoxique,
son usage précoce et intensif peut avoir des consé-
quences à long terme sur les habilités cognitives.
Quels sont les enjeux d’une légalisation contrôlée?
La loi française est l’une des plus sévères d’Europe, et
pourtant notre pays est en tête des consommations, lar-
gement devant les Pays-Bas qui ont partiellement léga-
lisé. Les études ont montré qu’il n’existe pas de
parallélisme entre sévérité législative et baisse des
consommations. Une telle loi n’a plus de sens dans un
pays qui compte près de cinq millions d’usagers, essen-
tiellement parmi les 15-35 ans.
1
Elle génère une économie
parallèle et des nuisances intolérables liées à un micro-
trafic omniprésent dans les quartiers les plus défavori-
sés des grandes villes, où les populations sont soumises
à un climat de violence, parfois extrême.
La répression est inefficace et coûteuse. Chaque année,
près de 200 000 interpellations de consommateurs de
cannabis, un engorgement des services judiciaires, des
incarcérations inutiles dans les maisons d’arrêt qui
souffrent déjà de surpopulation. L’interpellation des
« shiteux », comme disent les policiers, permet d’amé-
liorer les statistiques car le taux d’élucidation est ici de
100% (alors qu’il n’est qu’à 9% pour les cambriolages).
Que d’efforts inutiles à un moment où la lutte contre le
terrorisme est prioritaire !
Pour ces raisons, il est nécessaire de repenser la poli-
tique des drogues, de construire un nouveau modèle
pour sécuriser l’usage récréatif aujourd’hui si répandu
en prévenant les risques associés à l’usage et surtout à
l’usage abusif, d’offrir les réponses médicales ou
sociales adaptées et de réduire les graves problèmes de
sécurité publique générés par le plus important marché
illégal dans ce pays, source de violence, de corruption, et
de dépenses inutiles.
Propos recueillis par Aurélie Verneau
Didier Jayle est professeur du Conservatoire national des arts et métiers, chaire d’addictologie, et
médecin au service d’immunologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Président de la mis-
sion interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) de 2002 à 2007, il appelle
aujourd’hui de ses vœux une légalisation contrôlée du cannabis. Dans ce cadre, il co-organisait,
le 10 octobre dernier, avec la sénatrice Esther Benbassa et Sciences Po, et en partenariat avec la
Fédération Addictions, une journée de débats au Sénat sur le thème : «
Légalisation du cannabis :
l’Europe est-elle condamnée à l’impasse?
».
Actualités
L’addictologie, une discipline enseignée au Cnam
Dans le cadre de sa chaire d’addictologie, le
Conservatoire propose un certificat de compétence
Addiction, prévention et santé. Il s’adresse principale-
ment aux professionnels intervenants ou aux béné-
voles d’associations travaillant dans les domaines de
l’éducation, de la santé mentale, de la justice, de la pré-
vention générale et spécialisée ou de l’insertion
sociale.
1:
Selon
l’Observatoire
français des
drogues et des
toxicomanies,
4,6 millions de
Français auraient
consommé au
moins une fois dans
l’année du cannabis
(chi res de juin
2015).
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