Le Cnam mag' #6 - page 25

mag'
25
Comment définiriez-vous votre métier de
game
designer
?
Je suis la machine à idées. Ensuite j’essaie d’avoir un
certain leadership créatif dans l’équipe, en prenant le
temps d’écouter, de parler, de réajuster... Je me sens
parfois comme un capitaine de navire qui vogue vers une
destination inconnue tout en se disant qu’il y a sûrement
un continent super plaisant au bout du voyage. Moi je
l’imagine déjà dans ma tête mais j’ai tout un équipage à
convaincre et à accompagner à bon port malgré la houle
et les vagues. J’apporte le personnage principal, les
principes généraux, la justification narrative... Chaque
jeu est donc un peu le reflet de ma personnalité et de
mon «
background
». Par exemple, je n’aime pas trop
abuser des cinématiques pour raconter mon histoire, je
préfère qu’elle soit intégrée comme tel dans le
gameplay
.
Je suis aussi très observateur de la réalité, de ce qui se
passe autour de moi. L’idée de la foule dans
Assassin’s
m’est par exemple venue en allant aux matchs de hockey
des Canadiens de Montréal. Au Centre Bell, il y a
21 288 personnes, et j’étudiais comme on pouvait se fau-
filer dans une foule pour aller le plus rapidement aux toi-
lettes ! Pour moi, un jeu c’est donc avant tout recréer la
vie mais en la rendant «
fun
».
Aujourd’hui, vous dirigez aussi un studio
indépendant. Pourquoi ce choix?
Je trouve qu’il existe dans les gros studios une perte
considérable d’énergie qui vient du travail de bureau, du
côté politique du job. Je voulais retrouver une petite
équipe où l’aspect créatif est intense. Aujourd’hui, chez
Panache Digital Games
1
, nous sommes 23, tout le monde
se connaît et se parle, et nous partageons tous une
ambition commune: faire de grandes choses malgré une
équipe réduite. Et puis, l’une des frontières à la créativité
est imposée par l’industrie et ses impératifs commer-
ciaux. À l’époque où nous vendions un objet physique,
disposer d’un important système de distribution était
incontournable. Aujourd’hui, alors que tous les grands
magasins sont virtuels, les petites structures comme
Panache disposent d’un accès plus facile et plus direct
au marché.
Grand angle
Vous travaillez actuellement à votre neuvième jeu.
Quels en seront les grands principes?
C’est toujours un peu le même projet que je recom-
mence, en essayant de repousser les frontières et les
limites du genre: comment un personnage à la troisième
personne se déplace en trois dimensions ? Comment la
caméra interagit avec ça ? Jusqu’où est-il possible de
développer certains concepts d’
Assassin’s
, de
Prince
ou
de
1666 : Amsterdam
?
Ancestors : The Humankind
Odyssey
sera donc un jeu d’action/aventure où le joueur
interagira avec le décor et où il devra mettre en œuvre
des systèmes et des mécanismes de survie. Il racontera
notre histoire commune, le moment où nous descen-
dons de l’arbre, dans une jungle africaine. Il proposera
aussi un «
trip
» visuel fondamental, car je pense qu’il
existe un vrai plaisir dans la contemplation. Et un jeu,
cela doit être avant tout un plaisir : un plaisir de compéti-
tion, d’évasion, de contemplation...
Encore une fois, l’ancrage historique et culturel sera
donc l’un des éléments essentiels?
Oui, c’est essentiel pour moi. D’un côté, je pense que la
seule frontière qui pourrait exister dans la création d’un
jeu vidéo est celle de l’hyperréalisme, la tentation d’être
si proche de la réalité au point d’offrir une expérience de
jeu inintéressante et apeurante aux joueuses et aux
joueurs. De l’autre, je crois qu’il faut aussi que chacun
d’entre nous parle un peu de soi, et que l’on arrête de
toujours faire des jeux qui se passent au même endroit,
au même moment, sous prétexte que le marché ne veut
que ça. Il y a encore beaucoup de sujets à aborder et de
nombreuses cultures à explorer. Le très bon exemple
cette semaine, c’est la sortie de
Battlefield 1
. Il y a eu des
centaines de jeux sur la seconde guerre mondiale, et
c’est la première fois qu’une grande franchise s’inté-
resse à la Grande Guerre. En suivant cet exemple, ou
celui d’
Ancestors
, il faut désormais que les créateurs de
jeux vidéo saisissent les occasions de parler d’eux, d’au-
tant plus que nous partageons tous un langage com-
mun, universel : le
game design
.
Propos recueillis par YBoude
Image tirée du jeu
en développement
Ancestors : The
Humankind
Odyssey
.
1
:
digitalgames.com
I...,15,16,17,18,19,20,21,22,23,24 26,27,28,29,30,31,32,33,34,35,...50
Powered by FlippingBook