Le Cnam mag' #6 - page 16

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mag'
«L’organisation du travail est
le principal déterminant du
stress professionnel »
Pourquoi avoir lancé ce projet d’analyse du stress au
travail ?
Parmi tous les risques psychosociaux, le stress est le
phénomène le plus complexe à analyser en vue de le pré-
venir. En effet, les facteurs associés à un stress élevé ou
durable, c’est-à-dire le stress qui peut créer des pro-
blèmes de santé, sont très nombreux. Beaucoup
d’études sont réalisées sur le terrain à la demande des
employeur.e.s ou des employé.e.s. La loi oblige l’em-
ployeur à évaluer les risques et à prendre les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé
physique et mentale de ses salarié.e.s, ce qui implique de
prendre en compte le stress au travail. Cependant, la
manière dont ces études sont analysées souffre souvent
de défauts méthodologiques. Ce qui peut entraîner des
erreurs de diagnostic et un gaspillage des ressources.
Comment avez-vous travaillé sur cette nouvelle
approche?
Nous avons développé une approche méthodologique
pour aider les managers à identifier les facteurs psycho-
sociaux (stresseurs) nécessitant une priorité d’action
pour réduire le niveau du stress (les leviers d’action).
Nous voulions à la fois innover sur le plan méthodolo-
gique et fournir aux managers un outil pertinent d’aide à
la décision. Pour cela, nous avons passé un accord de
partenariat avec le Dr Patrick Légeron, l’un des premiers
à comprendre l’importance du stress au travail. Il a
fondé et dirigé le cabinet Stimulus dont il reste le conseil-
ler scientifique. Il était conscient que la méthode habi-
tuellement utilisée pour les études épidémiologiques sur
le stress présentait des faiblesses. En effet, elle repose
sur l’index de Cooper qui analyse les liens observés entre
le stress et chacun des stresseurs, en ignorant les éven-
tuels liens existants entre les différents stresseurs. Le
cabinet Stimulus a mis à notre disposition des données
anonymes sur le stress au travail recueillies auprès de
10 000 salariés. Ces derniers ont rempli, lors de leur
visite annuelle auprès du médecin du travail, deux
questionnaires : un premier sur le stress et un second
sur 58 stresseurs. Ceux-ci étaient structurés en cinq
blocs : contexte, contrôle du travail, tâches effectuées,
relations et reconnaissance professionnelle.
Analyser un tel nombre de variables impose de recourir
à des méthodes multidimensionnelles. Gilbert Saporta,
professeur émérite au Cedric, nous a fait profiter de son
expérience des analyses multidimensionnelles de don-
nées structurées en blocs. Ensemble, nous avons déve-
loppé une approche qui prend en compte les différentes
dimensions auxquelles appartiennent les stresseurs.
Grâce à elle, nous avons calculé l’importance de chaque
stresseur, sans négliger le rôle simultané de tous les
autres, afin de les hiérarchiser.
Quels sont les principaux résultats obtenus?
Nous avons mis en place un outil pertinent pour évaluer
l’impact des facteurs organisationnels et environnemen-
taux sur les niveaux de stress individuels. À partir des
données fournies par le cabinet Stimulus, nous avons
mis en évidence cinq facteurs sur lesquels les managers
devraient agir en priorité afin de faire baisser le stress
efficacement : être contraint de travailler très rapide-
ment par manque de temps ; ne pas se voir offrir par son
entreprise des opportunités de carrière intéressantes ;
avoir des perspectives de promotions faibles ; travailler
dans une atmosphère bruyante et agitée ; ne pas être
récompensé quand l’on atteint ses objectifs.
Il est intéressant de remarquer que quatre de ces cinq
déterminants (sauf l’atmosphère, bien que même ce
point puisse être amélioré par des mesures organisa-
tionnelles) sont directement liés à l’organisation du tra-
vail. Enfin, cette approche peut aussi être mobilisée pour
étudier tout autre événement de santé psychologique (la
fatigue, l’anxiété, les troubles du sommeil, etc.).
Ce travail de recherche et nos conclusions ont fait l’objet
d’un article que nous avons publié en juin dans la revue
scientifique
Plos One
.
1
Propos recueillis par Diane Tribout
Mounia N. Hocine est biostatisticienne au laboratoire de Modélisation, épidémiologie et surveillance
des risques sanitaires (MESuRS) du Cnam, spécialiste de l’analyse de données de santé au travail.
Avec trois autres chercheurs du Conservatoire, elle a développé une méthode d’évaluation du stress
au travail, dans le cadre d’un projet transdisciplinaire. Financé par la direction de la recherche, il
a réuni deux laboratoires : le Centre d’études et de recherche en informatique et communications
(Cedric) et le laboratoire MESuRS.
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1:
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http://
journals.plos.
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journal.
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