Le Cnam mag' #6 - page 33

mag'
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Grand angle
Maintenant que le jeu vidéo est passé du statut de responsable-de-tous-les-maux au statut de
potentiel-remédiateur-universel, les questions de société le concernant ont glissé de «
comment
éviter aux jeunes de jouer, parce que c’est mal
» à «
comment faire jouer le plus grand nombre de
personnes, parce que c’est bien
» y compris (surtout ?) pour des finalités sérieuses.
A
insi, les enfants, adolescent.e.s, parents ou
seniors endossent, à des degrés et des moments
différents, le statut de joueuse et de joueur. Mais,
dans ses gigantesques efforts de diffusion, l’industrie
vidéoludique néglige encore et toujours une catégorie
importante de
gamers
: les personnes en situation de
handicap.
Par sa nature, le jeu vidéo est pourtant un lieu de lissage
des différences sociales. Des joueurs d’âges variés,
vivant aux quatre coins de la planète, parlant des lan-
gues différentes, se retrouvent pour vivre une expé-
rience commune, dans un espace virtuel aux règles
partagées. Des liens se créent, des groupes se forment,
des équipes s’assemblent et se dissolvent. Le jeu vidéo
est, sans aucun doute, l’espace dans lequel un joueur
handicapé pourrait faire abstraction de ses différences
et se mêler aux autres. Il n’en est pourtant rien. Ou
presque. Aujourd’hui, il est vital que les concepteurs de
jeux comprennent qu’une personne en situation de han-
dicap, et quel que soit celui-ci, a envie et besoin de jouer,
peut-être plus qu’une autre. Mais aussi que les concep-
tions actuelles des jeux vidéo sont largement perfec-
tibles du point de vue de l’inclusion, et qu’il n’est ni très
difficile, ni très coûteux d’y remédier.
Des pistes nombreuses et prometteuses
Des initiatives associatives existent pourtant en ce sens
depuis plus de dix ans. Parmi d’autres :
Able Gamers
aux États-Unis,
Capgame
en France,
SpecialEffect
en
Grande-Bretagne, ou le
Game Accessibility Special
Interest group
. Toutes œuvrent pour adapter les envi-
ronnements des joueur.se.s en situation de handicap
afin de leur permettre de jouer avec des jeux vidéo issus
de l’industrie, en l’état. Certaines tentent également de
sensibiliser les studios de développement à la nécessité
d’intégrer des principes simples pour améliorer l’acces-
sibilité de leurs produits.
Différentes actions vont déjà en ce sens au sein du
Conservatoire. Une action de formation d’abord : à
l’École nationale du jeu et des médias interactifs numé-
riques (Enjmin), les étudiant.e.s du master jeux et
médias interactifs numériques bénéficient de cours sur
l’accessibilité des jeux vidéo, et sont encouragés à inté-
grer ces principes dans leurs projets. Ces futurs actrices
et acteurs du monde industriel auront ce nouvel avan-
tage d’avoir été confrontés à cette réflexion une fois, et
seront porteurs de changement.
Des actions de recherche ensuite. Suivant une approche
technique ou de design, elles développent les connais-
sances et savoir-faire démontrant que le jeu vidéo peut
être plus inclusif. Si l’angle de l’accessibilité des inter-
faces semble évident, il n’est peut-être pas le plus pro-
metteur. Au Centre d’études et de recherche en
informatique et communications (Cedric), nous travail-
lons ainsi sur des approches de l’accessibilité en matière
de
game design
: nous développons de nouveaux
modèles de jeux permettant de prendre en considération
le maximum de profils de joueurs ou joueuses,
handicapé.e.s ou non.
Des actions de communication, enfin, comme le
concours de conception de jeux vidéo accessibles orga-
nisé en 2012. Le jeu
Evil Blind Mutant Monster Attack
,
développé par quatre étudiants, y remporta les prix du
jury et du public. Il illustrait parfaitement la possibilité
d’une interface et d’un
gameplay
accessibles en oppo-
sant un joueur ne disposant
que de l’image à un joueur
n’ayant que le son. L
’expérience était
de facto
accessible
à la fois aux aveugles et aux malvoyants, au travers de ce
dernier rôle.
Beaucoup de chemin reste encore à parcourir mais vous
l’aurez compris, comme disait mon grand-père, «
game
accessibility matters
». Les États-Unis l’ont bien perçu,
en signant le
Communications and Video Accessibility
Act
en 2010 : une manière, assurément efficace, d’inciter
les industriels à jouer les jeu de l’accessibilité.
Par
Jérôme
Dupire
Le handicap n’a pas encore
beau jeu
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