Le Cnam mag' #6 - page 40

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mag'
Chronique
Dessine moi la Syrie
Kyungeun Park,
Nicolas Hénin,
Haytham. Une
jeunesse syrienne
,
Dargaud, 2016.
Freedom Hospital
,
Kobane Calling
,
Madaya Mom
,
La Dame de Damas
... Depuis quelques mois, de
nombreuses bandes dessinées racontent chacune à leur manière la révolution syrienne et la guerre
civile qui enflamme le pays depuis maintenant plus de cinq ans. Dernière en date,
Haytham, une
jeunesse syrienne
livre le témoignage du fils d’un des leaders de la révolution
,
de ses journées pas-
sées sur les barricades de Deraa jusqu’à son admission dans une prestigieuse classe préparatoire
parisienne. Particularité de ce
one-shot
: le scénario est signé Nicolas Hénin, spécialiste du Moyen
Orient, que l’on connaît plutôt pour ses reportages sur la Syrie d’Assad et les «printemps arabes».
Quelles raisons vous ont poussé à choisir le 9
e
art
comme nouveau moyen d’expression?
Parce que c’est un média formidable ! Très vite après
avoir rencontré Haytham j’ai eu envie de raconter son
histoire et ma première intuition fut d’en faire un livre
classique. Mais je me suis rendu compte très rapide-
ment à quel point il serait assez rébarbatif, alors que la
bande dessinée est moins intimidante, plus facile d’accès
et permet au final de toucher un public beaucoup plus
large et jeune. Un public qui aura certainement beau-
coup moins d’appréhension à se lancer dans un récit
dessiné que dans un témoignage écrit. Ce choix est aussi
lié à une frustration personnelle et professionnelle : il n’y
a pratiquement plus aucun journaliste occidental en
Syrie et il faut trouver des pistes alternatives pour conti-
nuer à couvrir les événements qu’endure ce pays.
Comment passe-t-on d’une écriture journalistique à
celle d’un scénario de bande dessinée?
Ma pratique du film documentaire m’a beaucoup aidé
puisque dans un cas comme dans l’autre on écrit ce qui
sera ensuite mis en scène par un autre, réalisateur ou
dessinateur. Cela m’a permis de mieux comprendre la
spécificité d’une bande dessinée, et notamment d’appré-
hender la complémentarité entre texte et image afin
d’éviter les répétitions et de gagner en efficacité.
Certains des messages passent ainsi par le dessin, ce
qui me permettait une économie de mots.
Comment s’est passée la collaboration avec
Kyungeun Park?
De façon très fluide, car il a de très grandes qualités
humaines, et même si notre rencontre s’est faite un peu
par accident, je ne regrette à aucun moment cette colla-
boration. Le dessin de Kyungeun est en effet très lisible
et expressif, et il a parfaitement réussi à trouver le bon
niveau entre le détail et la suggestion. D’ailleurs, aussi
surprenant que cela puisse paraître, le fait que
Kyungeun soit coréen a aussi beaucoup apporté au pro-
jet. Il est en effet assez désespérant de voir que dans
l’imagerie française tous les pays asiatiques se res-
semblent. Un peu comme si un dessinateur étranger
représentait une rue de Paris avec une voiture de police
berlinoise garée devant un lampadaire bruxellois et, en
arrière plan, la Tour Eiffel ! Il s’est donc lancé dans une
quête éperdue du moindre petit détail, avec l’objectif
qu’un Syrien reconnaisse son pays en parcourant ses
planches. Pour cela, nous avons réalisé un important
travail de recherche pour être aussi précis que possible
sur les voitures, les paysages urbains, les vêtements…
Tous ces petits détails qui font un dessin réaliste et
authentique. Il ne fallait surtout pas que le témoignage
d’Haytham soit déformé par sa traduction graphique.
Quels messages avez-vous voulu faire passer à
travers cette bande dessinée?
Je voulais avant tout faire passer deux messages poli-
tiques très importants, face à des offensives média-
tiques extrêmement violentes. Mon premier objectif
était de raconter, une fois de plus, la révolution syrienne,
ses origines et son déroulement, pour contrer les dis-
cours qui cherchent à nous faire croire que dès le début
elle était violente et extrémiste. Le second était de mon-
trer qui sont les réfugiés, à travers certes un exemple
particulièrement positif et exceptionnel, mais sans gom-
mer les tensions, les accommodements avec les règles,
les moments de solidarité… Je n’ai donc cherché ni à
être polémique ni à être angélique mais bien à lutter
contre les prises de position caricaturales qui traversent
actuellement le débat public.
Propos recueillis par YBoude
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